Traduction des langues minorées

La revue CAFÉ est une revue de littérature étrangère consacrée aux « autres littératures », aux littératures écrites dans des langues moins lues et moins traduites en France… soit à peu près toutes, exceptées celles écrites dans les principales langues d’Europe occidentale parfois étrangement qualifiées de « grandes » !

Ce choix reflète le lieu de naissance de la revue, l’Inalco, où une centaine de langues sont enseignées, de l’albanais au wolof, en passant par le quechua ou le cantonais. Il s’agit de mettre en lumière une littérature plurielle qui dépasse non seulement les frontières nationales, mais aussi les hiérarchies existant entre les langues : les « dialectes », les langues régionales et celles de tradition orale ont ainsi toute leur place entre nos pages.

Décloisonner la littérature : faire entendre d’autres voix, donner à lire des auteurs et autrices méconnus ou inconnus en France, faire découvrir un espace en marge… et ouvrir sur des genres que l’on traduit peu quand il s’agit des « autres langues ». Nous pouvons en puissance publier tout type de texte, le terme littérature devant être ici pris dans sa plus large acceptation.

Mais plus important que le contenu est le contenant. Peut-être aurions du nous simplement dire d’emblée que notre projet s’articule autour d’une sensibilité à la différence.

Traduire, oui ! mais comment?

Difficultés éditoriales pendant la préparation du deuxième numéro, interrogations sur les choix de traduction faits dans certains textes qui nous étaient proposés : nous nous sommes dit qu’il était peut-être temps de partager une vision plus claire de notre positionnement sur la traduction littéraire et donc de la ligne éditoriale de la revue. Ce texte est pensé comme une feuille de route, de grandes orientations pour les traducteurs et traductrices qui voudraient nous soumettre leur travail. Non pas un positionnement théorique figé, un ancrage, mais une réflexion en cours de route, à la fois un compas et un amer.

Traduire dans la revue CAFÉ, c’est naviguer au jugé entre deux écueils. Celui d’une traduction lissée, francisée, qui ne laisse pas respirer la version originale, qui ne transpire plus l’étranger ; et celui d’une traduction qui colle au texte et à son sens lexical jusqu’à en étouffer le rythme.

Nous ne traduisons pas pour produire un texte lisse, qui glisse, un « beau » texte qui ferait l’effet d’avoir été écrit en français. Nous préférons élargir la langue française plutôt que faire entrer de force le texte étranger dans son carcan. Notre volonté est de questionner le texte, les langues, de nous décentrer plutôt que nous plier aux exigences du « bon français ». La langue de la traduction se veut autre, faisant de la place pour accueillir les textes étrangers plutôt que de leur offrir l’hospitalité d’un lit de Procruste.

Lire de la littérature étrangère est une démarche, une recherche. C’est en réponse à cette attente que nous traduisons, pour revendiquer une mise en voix de l’étranger. Nous refusons d’offrir aux lecteurs et lectrices une littérature acclimatée à la culture française. Nous cherchons à ce qu’ils et elles aient une pleine conscience de l’étrangéité du texte, à trouver dans CAFÉ ce que nous avons clamé dans le premier numéro : « nous sommes des traducteurs ».

Mais entendre l’étranger ce n’est pas le calquer, ce n’est pas s’accrocher au sens lexical du mot étranger jusqu’à étouffer le son. Il s’agira pour nous de ne pas privilégier le sens sur la forme, mais d’écouter le rythme du texte originel : aspérités et répétitions participent de ce rythme. Nous nous efforçons aussi d’en conserver les images et, plutôt que leur chercher une équivalence, les faire (re)naître au français, sans pour autant nuire au plaisir de lecture.

En affirmant ces principes, nous cherchons surtout à donner une direction, à nous inscrire dans une certaine vision de la traduction littéraire, à avoir un fil conducteur commun pour travailler ensemble. Les traductions que nous publions et que nous publierons restent des propositions : chaque traduction est subjective, un même texte peut avoir une infinité de traductions toutes aussi valables les unes que les autres. Le pré-requis est de ne pas oublier, pour le traducteur ou la traductrice comme pour le lecteur ou la lectrice, qu’il s’agit de traductions.

Traduire et publier ensemble des littératures étrangères écrite dans des langues minorées, c’est à la fois donner une voix à ces littératures dans l’édition française et chercher à éditer autrement : si la traduction est au cœur de notre travail éditorial, nous ne pouvons pas rester indifférent.e.s à ce qu’elle implique, ce qu’elle peut être ou ce qu’elle ne peut pas être ; et si nous pensons cela collectivement, c’est pour partager les savoirs et les compétences, croiser les regards et continuer à apprendre ensemble à traduire et à éditer. Car éditer, c’est aussi aller vers l’autre ; prendre en main l’édition de nos textes, depuis le texte étranger jusqu’à sa version française, traduite, relue, corrigée, mise en page, imprimée et laissée aux mains des libraires, c’est accomplir le chemin vers les lecteurs et les lectrices.

Ouvrir une brèche dans l’édition, contribuer à sa diversité, le tout dans une revue au format chaleureux, qui invite et emmène ceux qui la manipulent dans ces ailleurs que nous traduisons. C’est pourquoi la vision de la traduction que nous défendons, si elle est exigeante, est avant tout littéraire, sensible, sonore, poétique, vivante. C’est pour cela qu’elle pose, de texte en texte, des questions toujours renouvelées.

Proposer un texte

Le vaste spectre de littératures que nous publions fait qu’il est probable que personne, dans le comité de lecture et/ou de rédaction, ne soit fin connaisseur du texte que vous proposez, de son auteur, du contexte, voire de la langue originale depuis laquelle vous l’avez traduit. Aussi votre travail d’introduction, une des composantes de la traduction selon Antoine Berman, est essentiel. Il ne s’agit pas de faire acte d’érudition, mais bien de réussir à introduire le texte original au cœur de lecteurs extérieurs, de leur faire saisir et sentir la matière vibrante de ce texte.

Nous recherchons des textes littéraires, ce dernier adjectif étant vraiment pris au sens large : nouvelles, poèmes ou correspondance, mais aussi extraits de romans, de pièces de théâtres ou d’(auto)biographies (avec alors un soin particulier mis dans le choix des coupes et des passages), des textes très courts ou plus longs, bref, tout ou presque est possible. Nous sommes d’ailleurs ouverts à des traductions de bandes dessinées bien sûr, mais aussi potentiellement de chansons ou encore d’œuvres artistiques variées incluant une dimension textuelle.

La revue, comme exposé dans la ligne éditoriale, est le support d’une pratique et d’une réflexion collective sur la traduction. Mettre en avant cette dimension dans votre proposition est essentiel : quels « problèmes » posent la traduction de ce texte, quels ont été vos choix, pour quelles raisons ? Que lisez-vous dans le texte original, comment l’avez-vous rendu dans votre traduction ?

Et pour comprendre et juger de votre travail, il nous faut lire un extrait de votre traduction (à laquelle vous prendrez soin de joindre le texte original). Le calibrage de cet extrait n’est pas figé mais relève du bon sens : une page pour une courte nouvelle, deux ou trois pour une nouvelle plus dense, mais un poème entier s’il est court.

Si votre texte n’est pas inédit en français, il vous faudra motiver votre projet de retraduction. Il y a plein de bonnes raisons pour retraduire un texte, pas seulement parce que la première traduction était hautement critiquable : la retraduction peut et doit être pensée comme un acte positif, comme une nouvelle lecture qui vient labourer la matière fertile du texte original.

Autre point crucial, les droits d’auteur. Si le texte n’est pas libre de droits, il est essentiel que vous contactiez l’auteur ou l’éditeur au plus tôt pour connaitre sous quelles modalités ils peuvent être obtenus. Si l’idée est bien d’en demander les droits à titre gracieux, puisque la revue, publiée par des bénévoles passionnés, ne dispose que de ressources limitées, nous sommes bien sûrs en mesure et prêts à acheter les droits de certains textes.

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à nous écrire !

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